Comment expliquer le succès médiatique du procès Johnny Depp vs. Amber Heard
Culture populaireEn attente du verdict, comment expliquer le succès médiatique du procès Johnny Depp vs. Amber Heard? On parle dans certains cas d’un trafic internet multiplié par 50 ! Voici 10 facteurs clés:
1. L’évasion, se changer les idées
Comment, avec la fin de la Covid, l’inflation ou l’Ukraine, le procès de Johnny Depp vs. Amber Heard peut-il susciter un tel engouement? Sans doute parce que ce procès nous parle d’argent, de célébrité, d’amour, de trahison, de gloire (perdue?), qu’il repose sur des leviers universels (la beauté, la séduction, l’amour, la passion, la jalousie, la sensualité, etc.) et que l’espace d’un instant, il nous détourne des problèmes urgents auxquels font face notre société. Nous avons donc besoin de nous distraire, de nous changer les idées, de nous divertir.
2. Le voyeurisme
Aucune discussion sérieuse sur le procès Johnny Depp vs. Amber Heard ne peut exister sans parler de voyeurisme. En effet, il faut voir et entendre les fans échanger sur chaque détail croustillant de la vie de couple de Depp-Heard pour réaliser à quel point chaque événement, chaque incident, chaque témoin, chaque avocat, chaque geste, devient l’occasion de commenter le procès et de donner son avis.
Le procès Johnny Depp vs. Amber Heard est l’illustration parfaite de la « culture contemporaine du moment ». C’est un théâtre des horreurs qui rend publiques les moments privés les plus intimes.
3. L’identification
Les célébrités (Depp, Heard, etc.) incarnent des valeurs. Or, nous nous identifions à eux dès lors qu’ils vivent des situations semblables aux nôtres : chicane de couples, divorce, passer une soirée entre amis, draguer, etc. À cet égard, il est fascinant de constater l’énergie que les fans de Johnny Depp déploient à le protéger et l’encourager, que ce soit lors de son arrivée à la cour de Virginie chaque matin ou sur les nombreuses plateformes de médias sociaux : YouTube, Instagram, TikTok, etc.
Sur ce plan, Depp a fait un calcul simple : il n’a rien à perdre, surtout après avoir appris que Disney ne désirait plus retenir ses services pour la franchises Pirates des Caraïbes.
4. La célébrité
Ce procès permet à des millions de regarder, pendant des semaines, des vedettes et des stars manger, dormir, chanter, se disputer: vraies personnes, vrais lieux, vrais événements. La frontière entre la vie publique et privée s’estompe peu à peu.
En ce sens, nous sommes devenus avec le temps une culture de la confession publique télévisée. Il faut dire que la multiplication des technologies et des diffuseurs a accru les occasions de confession et les tribunes pour le faire et permet d’avoir accès aux pensées et aux sentiments les plus intimes des participants.
5. Le pouvoir
Les téléspectateurs et les internautes ont l’impression de détenir un certain pouvoir sur le sort de Depp et Heard : ils peuvent commenter, insulter l’un ou l’autre, initier une pétition, ridiculiser un témoin, monter un vidéo, etc.
Il faut considérer tout un ensemble de facteurs filtrant l’effet direct du message : la crédibilité de la source, le contenu du message, le média utilisé et l’appartenance au groupe social, à la classe sociale.
6. La compétition
Ce procès ressemble à un événement sportif. Les internautes et les téléspectateurs prennent plaisir à souhaiter la victoire de l’un ou de l’autre. C’est un détail important, principe central de ce procès.
Le but du jeu, c’est d’éliminer l’autres et donc, de gagner pour protéger sa réputation et peut-être relancer sa carrière (Depp) ou protéger sa réputation et initier une réflexion sur la violence conjugale (Heard).
Je précise ici qu’il se joue deux batailles : celle de la cour de justice (et du 50 millions $ en jeu) et celle de l’opinion publique et donc, des relations publiques et de la perception. À cet égard, le clan Heard a remercié son équipe de relations publiques Precision Strategies après le début du procès et engagé David Shane de Shane Communications.
« Shane Communications a déjà travaillé contre Depp dans la bataille juridique entre l’acteur et The Management Group, ses anciens directeurs commerciaux. Le cabinet a contribué à mettre en lumière les allégations concernant les habitudes de dépense de Depp. »
7. Un spectacle
Ce procès est une créature hybride qui s’inspire directement de nombreux genres: documentaire, sport, dramatique, divertissement, jeu-questionnaire, roman-savon, etc. Les montages vidéos sur TikTok et YouTube mettent l’emphase sur l’aspect dramatique et les conflits. La musique vient appuyer le drame et le montage est serré. On observe le quotidien des stars
8. Un sentiment d’unité
Ce procès télévisé et retransmis en streaming sur les médias sociaux recréent un monde commun alors que l’on vit dans des mondes séparés. Les gens se sentent en communion alors qu’ils sont seuls à la maison à regarder sur TikTok ou sur YouTube les derniers détails du procès Depp vs. Heard.
9. L’élimination
Ce procès s’apparente aux vox pop et aux forums dans lesquels les citoyens discutent et essaient d’en arriver à un consensus. Dans les jeux du cirque, Néron graciait les gladiateurs. Dans ce contexte, nous sommes « en quelque sorte le coproducteur de l’émission puisqu’on est là pour juger, donner son avis, faire évoluer le scénario » (Roux et Teyssier: 68).
10. L’interactivité
Dans les années 90, le procès d’O.J. Simpson se déroulait au quotidien à la télévision, en particulier sur les réseaux CNN et Court TV. De nos jours, la retransmission du procès en streaming change la nature des échanges qui prennent soudainement l’aspects de courts clips de 30 secondes sur les plateformes web.
La folie entourant le procès Depp vs Heard (on parle de trafic multiplié par 50 sur plusieurs plateformes de médias) s’explique donc en partie à cause de l’interactivité. Même le sérieux Washington Post a dépêché une équipe pour couvrir le procès au quotidien.
À l’évidence, lorsqu’autant de gens sont rivés à leur téléphone intelligent, leur tablette, leur médias sociaux (TikTok ou YouTube) ou leur téléviseur, c’est qu’il se passe quelque chose qui mérite que l’on y prête attention.