Élections américaines: la consécration du podcast
MédiasDe tout temps, la maîtrise des médias a joué un rôle clé dans l’issue des campagnes électorales aux États-Unis comme ailleurs dans le monde.
Généralement, les candidats qui réussissent à dominer le média du moment parviennent à mobiliser les électeurs et à remporter la victoire.
Durant les années 1930 et 1940, Franklin Delano Roosevelt (FDR) a utilisé la radio avec brio. Les célèbres Fireside Chats (causeries au coin du feu, en français) de FDR ont permis au président de mobiliser l’opinion publique pour le New Deal et les politiques menant à l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.
Dans les années 1960, John F. Kennedy a su exploiter la télévision de manière inédite. Le premier débat télévisé contre Richard Nixon en 1960 à Chicago reste le tournant de la campagne électorale de 1960.
Kennedy, jeune, calme et charismatique, semblait plus à l’aise face à la caméra, ce qui lui permet de capter l’attention des téléspectateurs. Conscient de l’importance que prend l’image à la télévision, il est rasé et maquillé.
De son côté, Nixon est blessé au genou, non maquillé et non rasé. La rumeur veut que sa mère contacte sa secrétaire Rose Mary Woods au terme de la soirée pour s’enquérir de la santé de son fils!
Le jour de l’élection, le jeune Kennedy remporte la victoire par la peau des dents. Conscient de l’importance, de la force et du danger des débats, il s’écoulera plus de 16 ans avant la tenue d’un autre face-à-face à la télévision lors d’une élection américaine.
Au Canada, Pierre Elliott Trudeau a lui aussi utilisé la télévision avec talent dans les années soixante pour séduire les Canadiens et se positionner comme une figure politique moderne.
Trudeau père est alors conseillé par Jacques Bouchard, publicitaire et auteur des 36 cordes sensibles des Québécois. Puisque nous parlons de Jacques Bouchard, je me permets d’ailleurs de vous recommander chaudement la lecture de la biographie exceptionnelle de Marie-Claude Ducas portant sur le célèbre publicitaire et ses liens avec Pierre Elliott.
Marshall McLuhan, célèbre pour sa théorie sur les médias (le déterminisme technologique) et sa phrase iconique “le médium est le message’“, considérait d’ailleurs Trudeau père comme un politicien particulièrement apte à exploiter la télévision.
McLuhan voyait en Trudeau un exemple de la transition vers une politique plus centrée sur l’image et la personnalité que sur les débats purement idéologiques. Il faut dire que Trudeau se démarquait par son style décontracté, son attitude nonchalante et sa personnalité flamboyante. Il portait des costumes colorés et conduisait une voiture décapotable.
Cette image d’homme moderne contrastait avec celle des politiciens traditionnels et attirait particulièrement les jeunes électeurs.
En 2008, Barack Obama a su maîtriser la puissance d’Internet, et plus particulièrement de Facebook, lors de l’élection américaine, contre un adversaire qui se vantait de ne pas pouvoir utiliser un ordinateur, John McCain.
Précisons que le conseiller clé de Barack Obama pour sa stratégie numérique, y compris l’utilisation de Facebook, en 2008, n’était nul autre que Chris Hughes, l’un des cofondateurs de Facebook.
Hughes a joué un rôle central dans l’engagement en ligne et la mobilisation des électeurs, notamment en utilisant Facebook pour organiser des événements, faire des levers des fonds et créer un réseau de volontaires. C’est aussi l’époque où Facebook rejoignait massivement les électeurs plus jeunes, un segment historiquement moins enclin à voter.
Rappelons qu’au départ, seuls les étudiants de Harvard pouvaient joindre Facebook et y naviguer. Au courant de 2004, les universités de Stanford, Columbia et Yale se sont ajoutées au site. Cette expansion a continué peu à peu avec d’autres universités de la région de Boston, de la Ligue Ivy et par la suite, la plupart des universités des États-Unis.
En 2016, Donald Trump a utilisé Twitter comme outil central de sa campagne et de sa gouvernance.
Cette technique a permis à Trump de contourner les médias traditionnels et de communiquer directement avec ses partisans. Par la même occasion, cette approche a consolidé l’image d’outsider anti-establishment de Trump, un élément clé de son positionnement politique.
Les tweets de Trump étaient souvent courts et directs. Ce faisant, ils étaient facilement partageables et mémorables. À l’instar de FDR à la radio, Trump utilisait un langage simple, informel, avec des images fortes.
Par ailleurs, une des caractéristiques uniques de Trump sur Twitter était sa capacité à clarifier instantanément une position, attaquer un adversaire ou riposter à une critique ou à un média et donc, à devenir le sujet du jour.
À cet égard, les élections de 2024 marquent un autre tournant dans le monde des médias avec la montée en flèche du podcast ou balado. Or, force est de constater que ce média constitue la pierre angulaire de la stratégie média de Donald Trump en 2024.
Depuis le début de la présente campagne électorale, Trump a participé à près d’une vingtaine de podcasts pour renforcer sa présence médiatique. Parmi ceux-ci:
-
Joe Rogan Experience avec Joe Rogan – au moment d’écrire ces lignes, l’entrevue de Trump avec Rogan a généré 37 millions de vues sur YouTube seulement!
-
Impaulsive avec Logan Paul – L’épisode a enregistré 6,6 millions de vues, en faisant l’un des plus populaires du podcast.
-
This Past Weekend avec Theo Von – L’apparition de Trump sur ce podcast a été très remarquée, avec plus de 14 millions de vues.
-
Lex Fridman Podcast – Dans cet entretien qui a suscité plus de 5 millions d’écoutes sur YouTube seulement, Trump a reconnu sa défaite en 2020, qualifiant l’élection de perdue de justesse.
-
PBD Podcast – Dans cet épisode, Trump a discuté de ses adversaires politiques et de la vice-présidente Kamala Harris.
-
Dan Bongino Show – un podcast très populaire auprès des électeurs conservateurs. Dan Bongino est un ancien agent des services secrets et commentateur politique.
Les balados permettent à Trump de s’exprimer sans les contraintes des formats médiatiques traditionnels. Il dispose de plus de temps pour développer ses idées, partager des anecdotes et s’adresser aux auditeurs de manière plus personnelle. C’est un avantage énorme pour un storyteller comme Trump.
À l’instar de sa stratégie sur la plateforme Twitter en 2016, cette approche fondée sur les podcasts permet aussi à Trump de contourner la couverture médiatique souvent critique à son égard et de renforcer son image d’outsider.
Évidemment, Trump peut choisir des animateurs et des formats qui lui sont favorables, et traiter de différents sujets de manière directe et sans filtre.
Qui plus est, cette stratégie podcast permet à Trump de rejoindre des jeunes et des électeurs indépendants, le segment clé qui va déterminer qui sera le prochain président des États-Unis.
Bien sûr, Kamala Harris a participé à quelques balados, comme Pod Save America, The Daily, et Call Your Girlfriend, des podcasts progressistes qui s’adressent aux jeunes et aux électeurs urbains. Mais dans l’ensemble, ses performances à ce titre laissent à désirer—son intervention la plus écoutée a généré 717 000 écoutes en trois semaines.
En termes de participation à des podcasts, Donald Trump a donc adopté une stratégie beaucoup plus agressive et diversifiée que Kamala Harris qui a privilégié des plateformes de centre gauche.
Est-ce que cette stratégie “média du moment” permettra, comme par le passé, à celui qui la maîtrise le mieux de remporter l’élection?
Une chose est certaine: cette élection est un moment clé pour l’industrie du podcast, marquant officiellement son intégration complète dans le paysage médiatique et politique.
Et par la bande, cette montée en force du podcast confirme le lent déclin des médias traditionnels et la fin des talk-shows de fin de soirée…
(Note : Ce texte est extrait de l’Infolettre marketing de Luc Dupont, diffusée par courriel chaque semaine. Dans cette newsletter, Luc Dupont propose une revue complète des actualités en marketing, médias, communication et publicité. Le cas échéant, certains articles sont repris ici ultérieurement. Pour vous abonner)